Réflexion

Perspectives

Michael Jacquet, aumônier en gendarmerie

04 juillet 2020administrateur

A l’instar des militaires en opération extérieure, les gendarmes bénéficient eux aussi d’un service d’aumônerie, assuré par les cultes catholiques, protestants, israélites et musulmans. Pour les protestants, l’aumônerie militaire est gérée par la Fédération protestante de France. A Perspectives, deux pasteurs exercent parallèlement à leur ministère en Eglise locale celui de l’aumônerie en gendarmerie. Michael Jacquet, pasteur à Pontcharra, intervient ainsi en tant que réserviste citoyen en renfort de l’aumônier en charge de la gendarmerie de l’Isère. Il nous partage ici un aperçu de son ministère.

« L’actualité nous le montre régulièrement, les gendarmes et policiers sont confrontés, de par leur fonction, à la manifestation physique de toutes les formes de défiance lancées à l’autorité. Ils ont la lourde charge de la contenir et d’y répondre afin que l’ordre publique ne soit pas troublé et que la loi soit respectée. Ils accomplissent un travail dont le niveau d’exigence est particulièrement élevé et qui demande un investissement personnel et professionnel réel. Nombre de situations montre combien ils ont besoin d’être accompagnés.

Être gendarme, ce n’est pas seulement un métier, c’est endosser une identité marquée par la fonction, l’uniforme, la mission, la discipline qui va façonner la vie de celle ou celui qui s’engage. L’individu et son statut ne font qu’un seul. Il accomplit des missions humaines et vitales qui le confrontent inévitablement à la violence, sous toutes ses formes, mais aussi à la souffrance et la détresse. Bien que professionnel aguerri, il reste vulnérable. Et les confrontations quotidiennes à des situations « difficiles » l’impactent inévitablement. Ce sont ainsi les statistiques de 2018 en matière de suicides parmi les gendarmes qui m’ont poussé à réfléchir en profondeur sur l’action à mener auprès de ces militaires qui sont sujets, plus que d’autres, au stress chronique, et dont le besoin de soutien est réel.

Le gendarme n’a pas le choix entre fuir et faire face, il doit faire face. Et pour cela, il doit faire preuve d’une résilience qui s’appuie sur les dimensions physique, psychologique, sociale, émotionnelle et spirituelle. La gendarmerie a un dispositif qui tient compte des quatre premières dimensions. L’aspect spirituel, quant à lui, est pris en charge plus particulièrement par des aumôniers militaires qui assurent également un soutien humain et moral. Ces aumôniers sont au bénéfice d’une formation théologique validée ainsi que, dans la plupart des cas, d’une expérience dans le ministère pastoral.

Les effectifs de l’aumônerie militaire protestante (environ 70) ne permettent pas d’assurer un accompagnement permanent de toutes les unités de gendarmerie qui sont nombreuses et disséminées sur tout le territoire. Il y a donc, dans la mesure du possible, un référent départemental ou régional qui peut être consulté et qui peut intervenir sur demande. La mission qui revient à l’aumônerie est en effet de grande ampleur et des priorités ont donc été mises sur les opérations extérieures, les embarquements, les écoles et les bases d’importance qui nécessitent sa présence.

Un défi de l’ordre relationnel

Dans mon cas, je viens, en tant que réserviste citoyen, en renfort de l’aumônier en charge de la gendarmerie de l’Isère et suis le point de contact pour quelques brigades et un escadron de gendarmerie mobile en Savoie. J’interviens essentiellement sur la caserne de Pontcharra où se trouvent environ 140 gendarmes. J’essaie d’y être une demi-journée par semaine. Le défi est en effet de l’ordre relationnel. Il se crée un lien particulier entre les gendarmes et leur aumônier à partir du moment où il fait partie du paysage. Et cette relation de connaissance et de confiance est essentielle si on veut apporter un soutien digne de ce nom.

Aujourd’hui, je me définis comme aumônier de gendarmerie et non aumônier militaire car le travail, les questions éthiques et les besoins y sont, de mon point de vue, spécifiques.

Si la présence d’aumôniers est une véritable nécessité, il demeure la question de la manière dont ils peuvent ou doivent tenir leur place.

La place de l’aumônier est avant tout celle d’un cœur et d’une oreille, et au temps opportun celle d’une bouche.

L’institution envisage parfois la présence d’un aumônier dans le dispositif d’action face aux risques psychosociaux. Ni médecin, ni psychologue, ni assistant(e) social(e), l’aumônier a un rôle qu’aucun autre ne peut jouer à sa place. Il dispose d’un bagage théologique et d’une approche professionnelle de la vie qui lui permettent d’apprécier des situations spécifiques.

L’aumônier symbolise l’ouverture d’un espace de parole. Il est celui à qui l’on peut tout dire sur tous les sujets. Il est celui avec lequel on n’a pas besoin de prendre rendez-vous. Il est celui qui n’attache pas d’importance au protocole et qui rencontre l’autre là où il est et où il en est.

L’aumônier n’est pas non plus gendarme et n’intervient pas dans l’échelon hiérarchique, mais il trouve sa place parmi les gendarmes comme serviteur.

Il est un urgentiste qui s’inscrit dans une perspective de disponibilité et d’assistance. Son numéro de mobile est du même ordre que celui des services de secours. Aussi, dans un souci de cohérence avec le slogan « servir ceux qui nous servent », m’a-t-il semblé important, dès le début, d’être joignable aux moments où le gendarme est lui-même en service, c’est-à-dire tous les jours et 24 heures sur 24.

Si l’aumônier a toute sa place, il doit savoir aussi la garder et veiller à ne pas empiéter sur le domaine de compétences d’autres professionnels. L’aumônier devra donc savoir rediriger et convenir de ce qui relève de sa fonction ou non.

L’aumônier militaire protestant n’est pas un super héros, ni un sauveur. Il doit s’appliquer à être aumônier et non Jésus. Quand je me réfère à Matthieu 11 : 28, j’ai la juste image de la part qui me revient, celle de montrer la direction de l’endroit où le dépôt du fardeau peut se faire mais pas de prendre sur moi le lourd poids porté par mon prochain. L’accompagnement prend là tout son sens.

En outre, l’intervention de l’aumônier est limitée par la volonté de l’individu. L’aumônier répond aux sollicitations et doit savoir proposer son aide sans s’imposer. Je pratique la politique de la porte ouverte. Ma présence signifie que je suis abordable et disponible pour tous ceux qui cherchent un espace de rencontre et de parole, indépendamment de leurs convictions religieuses… Je suis alors dans ce cadre l’aumônier protestant de tous les militaires et non l’aumônier militaire des protestants, manifestant un ministère de présence et d’écoute.

Face à la situation particulière du gendarme confronté au stress chronique, j’ai mené une réflexion sur un accompagnement ciblé qui prend en compte la possibilité d’intervenir préventivement auprès d’un public qui n’exprime pas nécessairement de conviction religieuse. Ceci m’a permis de poser les bases d’un outil d’évaluation sur le fitness intérieur du militaire, et de suivi en situation de stress. Tout ceci a pour but d’aider le gendarme à réfléchir à sa résilience.

L’aumônier a par ailleurs toute sa place lors des moments forts de la vie de l’unité et intervient ponctuellement et sur demande lors de célébrations qui, il faut le dire, ne constituent pas en gendarmerie l’essentiel de son activité.

Je veux simplement terminer avec cette citation de l’ancien aumônier en chef Frank Bourgeois, que j’ai toujours gardée en tête : « Le métier d’aumônier militaire est un ministère difficile et exigeant. […] Mais tous peuvent être aumôniers de la réserve citoyenne. Quel pasteur n’a pas une brigade de gendarmerie auprès de laquelle il pourrait être accrédité ? » Les propos du pasteur Bourgeois ne visaient pas à minimiser le rôle d’un aumônier de la réserve citoyenne mais à montrer que même un engagement local et partiel peut contribuer au soutien d’une partie des forces armées de notre pays et revêt la plus grande importance.

Devant l’ampleur du travail et les enjeux humains, c’est en effet une exhortation à laquelle je veux m’associer, en encourageant mes collègues à apporter un soutien de proximité à celles et ceux qui assurent au quotidien secours et sécurité. »

Michael Jacquet
michael.jacquet@eglises-perspectives.org

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